(Les autres Brésils - Traduction Heléne Breant (Relecture Piera Simon-Chaix) - La crise a été précipitée à cause de l’erreur stratégique commise : répondre aux attentes des marchés et accepter un « calcul de la corruption » absurde. La campagne actuelle contre l’entreprise vise à la détruire – et non à rectifier ses erreurs.
Le report du bilan de la Petrobras pour le troisième trimestre de l’année dernière fut une aberration stratégique de la direction de l’entreprise, toujours plus vulnérable à la pression qu’elle subit de toutes parts. Dès le début de l’affaire, elle aurait dû affirmer qu’elle ne procèderait à une déduction comptable des éventuels préjudices dus à la corruption que lorsque ces derniers auraient été définitivement estimés, un par un, au fil des progrès de l’enquête.
La publication des résultats financiers il y a quelques jours, sans les chiffres qui n’auraient jamais dus être promis, a entraîné une nouvelle chute du prix des actions.
Et, évidemment, à de nouvelles réactions courroucées et disproportionnées, avec encore davantage de spéculation sur la valeur de la Petrobras - valeur subjective et sujette à fluctuations, comme celle de toute entreprise cotée en bourse, ainsi qu’à un regain d’attaques de la part de ceux qui comptent bien profiter des évènements pour détruire l’entreprise - y compris des hyènes d’autres pays si l’on en croit les dernières foutaises du Financial Times, lesquels adoreraient mettre en pièces et se partager, en s’en léchant les babines, les restes éventuels de l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde.
Qu’est-ce qui compte le plus pour la Petrobras ?
La valeur des actions, qui est elle aussi écrasée par une campagne qui va bien au-delà de l’intention d’assainir l’entreprise et de lutter contre les éventuels cas de corruption, notamment à travers des appels aux consommateurs, sur les réseaux sociaux, à cesser de faire le plein dans les stations-services de BR, à militer ouvertement pour qu’elle « s’effondre, et que tombe le gouvernement » - ou pour qu’elle soit privatisée, de préférence, et que des étrangers s’en voient confier les rênes afin de pouvoir, comme le clamait un internaute, « payer un real le litre d’essence, comme aux États-Unis » ?
Pour les investisseurs en bourse, la valeur de la Petrobras se mesure en dollars ou en réaux, selon la cotation du moment, et de nombreux spéculateurs font fortune, au Brésil et ailleurs, jour et nuit, en misant sur la fluctuation dérivée des titres mais aussi sur la campagne anti-brésilienne actuelle, reflétée dans le climat de « terrorisme » et le désir de « jeter de l’huile sur le feu » qui s’est emparé des espaces les plus conservateurs d’internet – pour ne pas dire des usurpateurs et autres fascistes, ne serait-ce que par connivence.
Pour les patriotes – et il y en a encore, fort heureusement – ce qui compte le plus, pour la Petrobras, c’est sa valeur intrinsèque, symbolique, permanente et intangible, et son rôle stratégique pour le développement et le renforcement du Brésil.
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux de notre génération qui sont descendus dans la rue et qu’on a mis derrière les barreaux, ceux qui ont essuyé coups de matraques et bombes lacrymogènes pour exiger la création d’une entreprise nationale tournée vers l’exploitation de l’une des plus grandes richesses économiques et stratégiques de l’époque, dans une période où tous affirmaient qu’il n’y avait pas de pétrole au Brésil et que, s’il y en avait, nous n’aurions pas les moyens de l’exploiter, attardés et sous-développés que nous « sommes » ?
Que vaut la formation, au fil des décennies, d’une équipe de 86 000 employés, salariés, techniciens et ingénieurs - l’un des segments les plus complexes de l’action humaine ?
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, n’ayant pas trouvé de pétrole en grande quantité sous terre, sont allés le chercher sous la mer, battant record après record en forant les puits les plus profonds de la planète ; ceux qui ont forgé des solutions, des savoirs-faire, des connaissances ; ceux qui ont érigé la Petrobras en fer de lance de l’exploration pétrolière à des centaines, voire des milliers de mètres de profondeur et ont fait d’elle l’entreprise la plus primée de l’histoire de l’OTC (Offshore Technology Conferences, évènement qui se tient tous les deux ans à Houston, Texas), à tel point qu’elle s’y est vu décerner l’Oscar technologique de l’exploration pétrolière en haute mer ?
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, tout au long de l’histoire de la plus grande entreprise brésilienne – caractéristique qui dépasse largement son éventuelle valeur de « marché » - ont affronté les menaces de dénationalisation, y compris la tentative ignominieuse, pendant la tragédie pro-privatisation et "entreguista" [1] des années 1990, de changer son nom pour la baptiser « Petrobrax », ce qui lui aurait retiré sa condition d’entreprise brésilienne.
Que vaut une entreprise présente dans 17 pays et qui a fait la preuve de sa valeur dans la découverte et l’exploration de pétrole et de gaz, des champs du Moyen-Orient à la Mer Caspienne, de la côte africaine aux eaux nord-américaines du Golfe du Mexique ?
Que vaut une entreprise qui a réuni autour d’elle, au Brésil, l’une des plus grandes structures Recherche & Développement au monde, à Rio de Janeiro, y faisant venir, loin de leurs pays d’origine, les principaux laboratoires de certaines entreprises parmi les plus en pointe de la planète ?
Pourquoi, alors qu’il est devenu de bon ton, sur les réseaux sociaux et pas seulement sur internet, de faire montre de mépris, de haine et de discrédit envers la Petrobras, les entreprises mondiales de technologie les plus importantes continuent-elles à croire en elle et souhaitent-elles développer et conquérir, aux côtés de la plus grande entreprise brésilienne, les nouvelles frontières technologiques en matière d’exploration de pétrole et de gaz en eaux profondes ?
Pourquoi en novembre 2014, il y a donc à peine plus de trois mois, l’entreprise General Electric a-t-elle inauguré à Rio de Janeiro, suite à un investissement d’un milliard de réaux, son Centre Mondial d’Innovation, rejoignant ainsi d’autres entreprises qui ont déjà installé leurs principaux laboratoires près de la Petrobras, à l’instar de BG, Schlumberger, Halliburton, FMC, Siemens, Baker Hughes, Tenaris Confab, EMC2, V&M et Statoil ?
Que vaut le fait que la Petrobras soit la première entreprise d’Amérique Latine et celle qui réalisait en 2013 les meilleurs profits – plus de 10 milliards de dollars – alors que la MEMEX mexicaine, par exemple, essuyait plus de 12 milliards de dollars de pertes sur la même période ?
Que vaut le fait que Petrobras ait, au troisième trimestre 2014, ravi à l’entreprise nord-américaine EXXON sa place de premier producteur mondial de pétrole parmi les plus grandes compagnies pétrolières cotées en bourse ?
Il faut prendre garde à la déconstruction artificielle, facile et odieuse de Petrobras ainsi qu’à la spéculation sur ses pertes potentielles dans un contexte de corruption – cette spéculation qui n’est pas seulement économique, mais aussi politique.
En 2013, Petrobras a réalisé un chiffre d’affaires de 305 milliards de réaux. Elle investit plus de 100 milliards de réaux par an, exploite une flotte de 326 bateaux, gère 35 000 kilomètres de conduites, a plus de 17 milliards de barils en réserve, 15 raffineries et 134 plateformes de production de gaz et de pétrole.
Il est évident qu’un énergéticien d’une telle dimension et complexité qui, en plus de cela, est aussi présent dans les champs de la thermoélectricité, du biodiesel, des engrais et de l’éthanol, ne peut insérer dans son bilan les pertes éventuelles dues au détournement de ressources par voie de corruption qu’à mesure que ces détournements ou ces pertes sont « quantifiés » sans laisser planer aucun doute pour qu’ils soient ensuite, comme le disent « les marchés », « mis à prix » un par un - et non pas, comme cela s’est produit jusqu’à présent, par lot, avec des chiffres aléatoires, multipliés presque à l’infini.
Les chiffres stratosphériques (de 10 à plusieurs dizaines de milliards de réaux) qui contrastent avec l’argent effectivement découvert et détourné vers l’extérieur jusqu’à présent et nourrissent les « analystes » lorsqu’ils évoquent les pertes sans citer le moindre fait ou document à l’appui, rappellent l’affaire du « Mensalão ».
A l’époque, les adversaires des personnes impliquées finirent par se fatiguer de répéter à l’envi, dans la presse et ailleurs, mois après mois, que les révélations de Roberto Jefferson après que l’un de ses protégés a été filmé en train de voler dans une agence postale, étaient « le plus grand scandale de l’histoire de la République » - marotte désormais reprise largement dans l’affaire Petrobras.
En décembre 2014, une étude de l’Institut Avante Brasil, que l’on ne peut soupçonner de défendre la « situation », a recensé les 31 plus grands scandales de corruption des vingt dernières années.
Dans cette étude, le « Mensalão » — le national, pas celui de l’État du Minas Gerais – atterrit à la 18ème place du classement. Il concernait en effet moins de la moitié des ressources du « Trensalão » [2] du parti « tucano » [3] de São Paulo et une fraction 200 fois inférieure au montant du scandale du « Banestado » survenu pendant le mandat de Fernando Henrique Cardoso et qui, avec l’équivalent de quelque 60 milliards de dollars d’aujourd’hui, caracole en tête du classement [4].
Et personne, absolument personne parmi ceux qui qualifiaient le « Mensalão » de plus grand scandale de l’histoire du Brésil, n’a pris à ce jour l’initiative d’effleurer le sujet – et ce bien que le « Monsieur Dollar » de l’affaire Petrobras, Alberto Youssef, soit le même que dans l’affaire Banestado.
Les problèmes découlant de la chute de la cotation du cours international du pétrole ne relèvent pas de la responsabilité de Petrobras et affectent aussi ses principaux concurrents.
Ils proviennent de la décision prise par l’Arabie Saoudite de tenter de mettre à mal l’industrie de l’extraction de gaz de schiste aux États-Unis en augmentant l’offre saoudienne et diminuant la cotation du produit sur le marché mondial.
Comme le pétrole extrait par Petrobras est destiné à la production de combustibles pour le marché brésilien, qui doit progresser avec la mise en service de nouvelles raffineries comme Abreu e Lima, ou pour « l’échange » contre du pétrole d’une autre catégorie d’autres pays, l’entreprise devra être moins frappée par ce processus.
La production de pétrole de l’entreprise est en hausse ainsi que les découvertes qui se succèdent depuis que le scandale a éclaté.
Et même si pertes il y avait – et il n’y en a pas – dans l’extraction du pétrole pré-salifère qui dépasse déjà les 500 000 barils par jour, cela vaudrait encore la peine pour le pays, pour l’effet multiplicateur des activités de l’entreprise, de garantir, avec une politique au contenu national minimal, des milliers d’emplois dans la construction navale, l’industrie des équipements, la sidérurgie, la métallurgie, la technologie.
La Petrobras fut, est et sera, avec toutes ses difficultés, un instrument d’une importance stratégique essentielle pour le développement du pays, particulièrement pour les États où elle est la plus présente comme celui de Rio de Janeiro.
Au lieu de l’achever comme beaucoup le souhaiteraient, le Brésil aurait besoin de deux, trois, quatre, cinq Petrobras.
Faut-il punir les voleurs qui ont pris dans ses poches ?
Personne n’en doute.
Mais il convient aussi de rappeler une vérité claire comme de l’eau de roche.
La Petrobras n’est pas seulement une entreprise.
C’est une nation.
Un concept.
Un étendard.
C’est pour cela que sa valeur est si grande, incommensurable, irremplaçable.
Telle est la conviction qui anime ceux qui prennent sa défense.
Et, sans aucun doute, c’est aussi l’abjecte motivation qui sous-tend les agissements des crapules qui se font fort de la détruire.
Notes de la traduction
[1]. De « entregar » : remettre, offrir. Les « entreguistas » sont des hommes politiques et d’affaires qui, notamment dans les années 1990 à l’apogée de ce mouvement auquel le texte fait référence, cherchaient à brader les intérêts du pays au profit d’intérêts privés étrangers.
[2]. Scandale autour de pots-de-vin pour l’attribution de marchés publics d’infrastructures de transport (notamment ferroviaire, d’où le Trensalão, trem = train) et d’énergie à São Paulo.
[3]. « Os tucanos », les toucans : sobriquet utilisé pour parler du PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne).
[4]. Il s’agissait d’envoyer de l’argent illégalement à l’étranger par le biais de comptes bancaires de la Banestado (Banque de l’État du Paraná).
Le report du bilan de la Petrobras pour le troisième trimestre de l’année dernière fut une aberration stratégique de la direction de l’entreprise, toujours plus vulnérable à la pression qu’elle subit de toutes parts. Dès le début de l’affaire, elle aurait dû affirmer qu’elle ne procèderait à une déduction comptable des éventuels préjudices dus à la corruption que lorsque ces derniers auraient été définitivement estimés, un par un, au fil des progrès de l’enquête.
La publication des résultats financiers il y a quelques jours, sans les chiffres qui n’auraient jamais dus être promis, a entraîné une nouvelle chute du prix des actions.
Et, évidemment, à de nouvelles réactions courroucées et disproportionnées, avec encore davantage de spéculation sur la valeur de la Petrobras - valeur subjective et sujette à fluctuations, comme celle de toute entreprise cotée en bourse, ainsi qu’à un regain d’attaques de la part de ceux qui comptent bien profiter des évènements pour détruire l’entreprise - y compris des hyènes d’autres pays si l’on en croit les dernières foutaises du Financial Times, lesquels adoreraient mettre en pièces et se partager, en s’en léchant les babines, les restes éventuels de l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde.
Qu’est-ce qui compte le plus pour la Petrobras ?
La valeur des actions, qui est elle aussi écrasée par une campagne qui va bien au-delà de l’intention d’assainir l’entreprise et de lutter contre les éventuels cas de corruption, notamment à travers des appels aux consommateurs, sur les réseaux sociaux, à cesser de faire le plein dans les stations-services de BR, à militer ouvertement pour qu’elle « s’effondre, et que tombe le gouvernement » - ou pour qu’elle soit privatisée, de préférence, et que des étrangers s’en voient confier les rênes afin de pouvoir, comme le clamait un internaute, « payer un real le litre d’essence, comme aux États-Unis » ?
Pour les investisseurs en bourse, la valeur de la Petrobras se mesure en dollars ou en réaux, selon la cotation du moment, et de nombreux spéculateurs font fortune, au Brésil et ailleurs, jour et nuit, en misant sur la fluctuation dérivée des titres mais aussi sur la campagne anti-brésilienne actuelle, reflétée dans le climat de « terrorisme » et le désir de « jeter de l’huile sur le feu » qui s’est emparé des espaces les plus conservateurs d’internet – pour ne pas dire des usurpateurs et autres fascistes, ne serait-ce que par connivence.
Pour les patriotes – et il y en a encore, fort heureusement – ce qui compte le plus, pour la Petrobras, c’est sa valeur intrinsèque, symbolique, permanente et intangible, et son rôle stratégique pour le développement et le renforcement du Brésil.
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux de notre génération qui sont descendus dans la rue et qu’on a mis derrière les barreaux, ceux qui ont essuyé coups de matraques et bombes lacrymogènes pour exiger la création d’une entreprise nationale tournée vers l’exploitation de l’une des plus grandes richesses économiques et stratégiques de l’époque, dans une période où tous affirmaient qu’il n’y avait pas de pétrole au Brésil et que, s’il y en avait, nous n’aurions pas les moyens de l’exploiter, attardés et sous-développés que nous « sommes » ?
Que vaut la formation, au fil des décennies, d’une équipe de 86 000 employés, salariés, techniciens et ingénieurs - l’un des segments les plus complexes de l’action humaine ?
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, n’ayant pas trouvé de pétrole en grande quantité sous terre, sont allés le chercher sous la mer, battant record après record en forant les puits les plus profonds de la planète ; ceux qui ont forgé des solutions, des savoirs-faire, des connaissances ; ceux qui ont érigé la Petrobras en fer de lance de l’exploration pétrolière à des centaines, voire des milliers de mètres de profondeur et ont fait d’elle l’entreprise la plus primée de l’histoire de l’OTC (Offshore Technology Conferences, évènement qui se tient tous les deux ans à Houston, Texas), à tel point qu’elle s’y est vu décerner l’Oscar technologique de l’exploration pétrolière en haute mer ?
Que valent la lutte, le courage, la détermination de ceux qui, tout au long de l’histoire de la plus grande entreprise brésilienne – caractéristique qui dépasse largement son éventuelle valeur de « marché » - ont affronté les menaces de dénationalisation, y compris la tentative ignominieuse, pendant la tragédie pro-privatisation et "entreguista" [1] des années 1990, de changer son nom pour la baptiser « Petrobrax », ce qui lui aurait retiré sa condition d’entreprise brésilienne.
Que vaut une entreprise présente dans 17 pays et qui a fait la preuve de sa valeur dans la découverte et l’exploration de pétrole et de gaz, des champs du Moyen-Orient à la Mer Caspienne, de la côte africaine aux eaux nord-américaines du Golfe du Mexique ?
Que vaut une entreprise qui a réuni autour d’elle, au Brésil, l’une des plus grandes structures Recherche & Développement au monde, à Rio de Janeiro, y faisant venir, loin de leurs pays d’origine, les principaux laboratoires de certaines entreprises parmi les plus en pointe de la planète ?
Pourquoi, alors qu’il est devenu de bon ton, sur les réseaux sociaux et pas seulement sur internet, de faire montre de mépris, de haine et de discrédit envers la Petrobras, les entreprises mondiales de technologie les plus importantes continuent-elles à croire en elle et souhaitent-elles développer et conquérir, aux côtés de la plus grande entreprise brésilienne, les nouvelles frontières technologiques en matière d’exploration de pétrole et de gaz en eaux profondes ?
Pourquoi en novembre 2014, il y a donc à peine plus de trois mois, l’entreprise General Electric a-t-elle inauguré à Rio de Janeiro, suite à un investissement d’un milliard de réaux, son Centre Mondial d’Innovation, rejoignant ainsi d’autres entreprises qui ont déjà installé leurs principaux laboratoires près de la Petrobras, à l’instar de BG, Schlumberger, Halliburton, FMC, Siemens, Baker Hughes, Tenaris Confab, EMC2, V&M et Statoil ?
Que vaut le fait que la Petrobras soit la première entreprise d’Amérique Latine et celle qui réalisait en 2013 les meilleurs profits – plus de 10 milliards de dollars – alors que la MEMEX mexicaine, par exemple, essuyait plus de 12 milliards de dollars de pertes sur la même période ?
Que vaut le fait que Petrobras ait, au troisième trimestre 2014, ravi à l’entreprise nord-américaine EXXON sa place de premier producteur mondial de pétrole parmi les plus grandes compagnies pétrolières cotées en bourse ?
Il faut prendre garde à la déconstruction artificielle, facile et odieuse de Petrobras ainsi qu’à la spéculation sur ses pertes potentielles dans un contexte de corruption – cette spéculation qui n’est pas seulement économique, mais aussi politique.
En 2013, Petrobras a réalisé un chiffre d’affaires de 305 milliards de réaux. Elle investit plus de 100 milliards de réaux par an, exploite une flotte de 326 bateaux, gère 35 000 kilomètres de conduites, a plus de 17 milliards de barils en réserve, 15 raffineries et 134 plateformes de production de gaz et de pétrole.
Il est évident qu’un énergéticien d’une telle dimension et complexité qui, en plus de cela, est aussi présent dans les champs de la thermoélectricité, du biodiesel, des engrais et de l’éthanol, ne peut insérer dans son bilan les pertes éventuelles dues au détournement de ressources par voie de corruption qu’à mesure que ces détournements ou ces pertes sont « quantifiés » sans laisser planer aucun doute pour qu’ils soient ensuite, comme le disent « les marchés », « mis à prix » un par un - et non pas, comme cela s’est produit jusqu’à présent, par lot, avec des chiffres aléatoires, multipliés presque à l’infini.
Les chiffres stratosphériques (de 10 à plusieurs dizaines de milliards de réaux) qui contrastent avec l’argent effectivement découvert et détourné vers l’extérieur jusqu’à présent et nourrissent les « analystes » lorsqu’ils évoquent les pertes sans citer le moindre fait ou document à l’appui, rappellent l’affaire du « Mensalão ».
A l’époque, les adversaires des personnes impliquées finirent par se fatiguer de répéter à l’envi, dans la presse et ailleurs, mois après mois, que les révélations de Roberto Jefferson après que l’un de ses protégés a été filmé en train de voler dans une agence postale, étaient « le plus grand scandale de l’histoire de la République » - marotte désormais reprise largement dans l’affaire Petrobras.
En décembre 2014, une étude de l’Institut Avante Brasil, que l’on ne peut soupçonner de défendre la « situation », a recensé les 31 plus grands scandales de corruption des vingt dernières années.
Dans cette étude, le « Mensalão » — le national, pas celui de l’État du Minas Gerais – atterrit à la 18ème place du classement. Il concernait en effet moins de la moitié des ressources du « Trensalão » [2] du parti « tucano » [3] de São Paulo et une fraction 200 fois inférieure au montant du scandale du « Banestado » survenu pendant le mandat de Fernando Henrique Cardoso et qui, avec l’équivalent de quelque 60 milliards de dollars d’aujourd’hui, caracole en tête du classement [4].
Et personne, absolument personne parmi ceux qui qualifiaient le « Mensalão » de plus grand scandale de l’histoire du Brésil, n’a pris à ce jour l’initiative d’effleurer le sujet – et ce bien que le « Monsieur Dollar » de l’affaire Petrobras, Alberto Youssef, soit le même que dans l’affaire Banestado.
Les problèmes découlant de la chute de la cotation du cours international du pétrole ne relèvent pas de la responsabilité de Petrobras et affectent aussi ses principaux concurrents.
Ils proviennent de la décision prise par l’Arabie Saoudite de tenter de mettre à mal l’industrie de l’extraction de gaz de schiste aux États-Unis en augmentant l’offre saoudienne et diminuant la cotation du produit sur le marché mondial.
Comme le pétrole extrait par Petrobras est destiné à la production de combustibles pour le marché brésilien, qui doit progresser avec la mise en service de nouvelles raffineries comme Abreu e Lima, ou pour « l’échange » contre du pétrole d’une autre catégorie d’autres pays, l’entreprise devra être moins frappée par ce processus.
La production de pétrole de l’entreprise est en hausse ainsi que les découvertes qui se succèdent depuis que le scandale a éclaté.
Et même si pertes il y avait – et il n’y en a pas – dans l’extraction du pétrole pré-salifère qui dépasse déjà les 500 000 barils par jour, cela vaudrait encore la peine pour le pays, pour l’effet multiplicateur des activités de l’entreprise, de garantir, avec une politique au contenu national minimal, des milliers d’emplois dans la construction navale, l’industrie des équipements, la sidérurgie, la métallurgie, la technologie.
La Petrobras fut, est et sera, avec toutes ses difficultés, un instrument d’une importance stratégique essentielle pour le développement du pays, particulièrement pour les États où elle est la plus présente comme celui de Rio de Janeiro.
Au lieu de l’achever comme beaucoup le souhaiteraient, le Brésil aurait besoin de deux, trois, quatre, cinq Petrobras.
Faut-il punir les voleurs qui ont pris dans ses poches ?
Personne n’en doute.
Mais il convient aussi de rappeler une vérité claire comme de l’eau de roche.
La Petrobras n’est pas seulement une entreprise.
C’est une nation.
Un concept.
Un étendard.
C’est pour cela que sa valeur est si grande, incommensurable, irremplaçable.
Telle est la conviction qui anime ceux qui prennent sa défense.
Et, sans aucun doute, c’est aussi l’abjecte motivation qui sous-tend les agissements des crapules qui se font fort de la détruire.
Notes de la traduction
[1]. De « entregar » : remettre, offrir. Les « entreguistas » sont des hommes politiques et d’affaires qui, notamment dans les années 1990 à l’apogée de ce mouvement auquel le texte fait référence, cherchaient à brader les intérêts du pays au profit d’intérêts privés étrangers.
[2]. Scandale autour de pots-de-vin pour l’attribution de marchés publics d’infrastructures de transport (notamment ferroviaire, d’où le Trensalão, trem = train) et d’énergie à São Paulo.
[3]. « Os tucanos », les toucans : sobriquet utilisé pour parler du PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne).
[4]. Il s’agissait d’envoyer de l’argent illégalement à l’étranger par le biais de comptes bancaires de la Banestado (Banque de l’État du Paraná).